À la suite des nombreux progrès dans les sciences informatiques, ainsi que de l’innovation dans certains domaines liée à l’information et à la communication dans un environnement numérique, de plus en plus de spécialistes remarquent à la fois (a) la numérisation croissante de la plupart de nos ressources documentaires (scientifiques, culturelles, patrimoniales, etc.) et (b) leurs transmissions par le moyen de nouveaux dispositifs techniques, qui impliquent notamment de nouvelles médiations technologiques. D’une manière très générale, cette numérisation massive vise à aboutir sur de nouvelles possibilités de stockage et de diffusion de ces ressources via des serveurs et des programmes informatiques, des plateformes en ligne, des sites et des interfaces web, etc. autrement dit : des « espaces d’information et de communication numériques », qui sont souvent « multimédia ».
Nous partons du principe que, dans un environnement numérique multimédia, la plupart des données sont des ressources potentielles, en ce sens que ces données doivent supporter en quelque sorte un « traitement (intellectuel et matériel) », afin de devenir accessibles et surtout lisibles par un utilisateur quelconque ou à une communauté d’utilisateurs. Cependant, il ne s’agit pas seulement de diffuser des données par le moyen de dispositifs techniques pour que celles-ci proposent des valeurs significatives, manifestent du sens ; en effet, dans un environnement numérique, si une partie des traitements et des manipulations des données est parfois automatique, un travail interprétatif est toujours nécessaire pour attribuer du sens à des objets et des pratiques médiatiques.
D’un point de vue sémiotique, en effet, l’une des principales questions est non seulement celle de la « structure sémiotique » des données numériques (l’organisation structurelle des données des médias numériques) mais aussi, la « manière dont ces données sont traitées », ainsi que leurs « statuts » et leurs « fonctions » pour un usagers ou une communauté d’usagers. Somme toute, ces transformations sont effectuées par le biais d’une série d’opérations concrètes : (1) la constitution et (2) la classification de données numériques, notamment de corpus de documents ou d’images ; (3) la description et (4) l’indexation de ces données numériques, non seulement à travers un (5) traitement automatique des données (segmentation, marquage ou tagging, pattern recognition, etc.) mais aussi (6) la (con)version (linguistique, mais aussi, par ailleurs, celles des formats techniques) des dossiers ou des informations liées à ces données, et enfin (7) la republication des données, des documents, des images, etc. numériques.
L’un des objectifs de ces traitement intellectuels et matériels est de mettre à disposition des internautes, sous la forme de connaissances pertinentes directement accessibles sur des plateformes en ligne, les énormes quantités de données médiatiques, documentaires, culturelles, etc. qui ont été numérisées ; c’est-à-dire, de mettre en place des « ressources de connaissances » pour des « publics cibles » (p. ex. : une personne, un groupe social, une institution, etc.). En outre, on remarque le développement de nombreux dispositifs technique dont le but est de permettre d’analyser automatiquement des données ou images numériques (ou numérisées), ceci grâce à du matériel et des programmes informatiques hautement sophistiqué. De tels dispositifs computationnels rendent possible l’analyse de très grande qualité de données, dans un laps de temps très court ; au contraire, les méthodes d’analyses issues des sciences humaines concernent plutôt un nombre réduit d’images, et nécessitent beaucoup d’investir beaucoup de temps (p. ex.: dans les centres de documentation et d’archives ou dans les musées et leurs collections artistiques).
En ce qui concerne le traitement des images, on distingue ainsi les méthodes d’« analyse automatique (ou quantitative) » d’une part, et les méthodes d’« analyse classique (ou qualitative) ». La difficulté principale est sans doute de concilier ces deux types d’analyse (quantitative et qualitative), dont les moyens et fins diffèrent parfois radicalement. Cependant, les différentes « opérations » qui constituent entre autres le « traitement automatique des données », nous savons que nous pouvons d’ailleurs les rapporter à des « opérations » et des « processus sémiotiques » bien connus, et qu’il s’agit en l’occurrence de rapporter à des dispositifs et des pratiques propres à la communication des objets médiatiques, mais dès lors dans un environnement numérique et multimédia.
Le numérique, ainsi que les nouveaux objets techniques qui en résultent, transforment profondément les moyens de traitements des grandes quantités de données, notamment d’autres types de médias qui ont été numérisés (documents écrits ou imprimés, images fixes, films, vidéos, enregistrement audio, etc.). Les perspectives générales que le numérique semble proposer (en tant que technologie, mais aussi en tant qu’outil) rencontre toutefois plusieurs problèmes et questionnements techniques, sociaux et scientifiques ; à ce propos, la littérature scientifique augmente singulièrement, depuis quelques décennies. De nouvelles approches et recherches scientifiques, qu’on ressemble généralement dans le domaine « Humanités Numériques » (Digital Humanities), s’interrogent ainsi sur l’impact du numérique dans les sciences humaines et sociales ; en considérant notamment le développement des nouveaux outils informatiques pour aider l’usager ou le chercheur, ou encore les nouveaux contenus et processus médiatiques qui sont produits par ces outils. Les champs et les disciplines concernés par ces nouveaux « outils », « approches » et « recherches » sont entre autres les sciences historiques, les sciences de l’antiquité, les sciences du langage et les études littéraires, mais aussi la sociologie, la géographie, l’histoire de l’art et des médias. En outre, plusieurs secteurs professionnels en lien avec des disciplines et des institutions scientifiques sont également concernées par les enjeux du numériques, notamment : l’archivistique, la bibliothéconomie, les centres de documentation.
Remarquons que ces trois secteurs, en raison de leurs intérêts pour les thèmes de la documentation et des archives, ont déjà largement abordé certains enjeux de la technologie numérique ; notamment à travers le questionnement de ses « actions » sur les « contenus », et les changements que cette technologie a apporté dans les pratiques en rapport avec la permanence et la mémoire des événements ; autrement dit : la volonté de sauvegarder la mémoire de certains événements en les fixant dans un support pérenne. En ce sens, un « contenu » doit correspondre à un « support matériel », un objet physique qui permet de le manifester (perceptiblement) et de le manipuler (physiquement), mais aussi à une « forme interprétable », à laquelle on peut attribuer une valeur sémiotique qui exprime du sens pour celui ou celle qui l’interprète.
Cependant, l’évolution des supports et des médiations techniques, et surtout la technologie numérique, nécessitent la mise en place d’outils annexes permettant de maintenir dans le temps certains « contenus », ainsi que la permanence de leurs lectures. Par exemple, dans les pratiques documentaires, la technologie et les outils numériques ont profondément modifié les moyens d’accès et de consultations à certains supports documentaires, qui, auparavant, ne nécessitaient pas (dans certains cas) de médiation technique supplémentaire. Le « codage informatique », c’est-à-dire, la capacité technique à coder numériquement sur un support (binaire, électronique) et à décoder, permet désormais de décomposer des documents en des ressources codées, mais qui sont seulement accessibles par l’intermédiaire d’un processus supplémentaire de médiation (le numérique), et surtout, sous la forme d’interfaces, de visualisations qui sont également produites à l’aide de ce processus.
Notre projet de recherche propose d’étudier les répercussions de ces nouveaux domaines de recherche et dispositifs de visualisation, mais plus particulièrement en ce qui concerne les pratiques visuelles (dessins, peintures, photographies) et audiovisuelle (films, vidéo, animation 3D). Davantage : l’objectif est de mettre en lumière les développements récents dans les recherches qui concernent l’influence du paradigme des Big Data dans les principales disciplines et les pratiques qui gèrent, traitent, décrivent et analysent des images. Ce faisant, grâce à une approche sémiotique et communicationnelle, ainsi que les acquis des nombreux travaux en théories et histoire des arts visuels, nous aspirons à proposer des solutions méthodologiques quant à l’indexation des archives d’images, ainsi que des pistes de réflexion à propos de l’interprétation des nouveaux dispositifs et interfaces d’analyse et de visualisation de grands ensembles d’images (p. ex. : collections artistiques, fonds d’archives, banques d’images, etc.).